Alexander Morus

(1616-1670)

Une petite biographie

Alexander Morus (ou : More) naît le 25 septembre 1616 à Castres (Languedoc). Son père, d’origine écossaise, y est le principal du collège réformé et aussi pasteur de l’Eglise locale [1].

A l’âge de vingt ans, en 1636, Morus se rend à Genève pour y étudier la théologie. Ses succès sont fulgurants. Il remporte le concours pour devenir professeur de grec dès 1639, en battant Etienne Le Clerc (1599-1676) ; en 1642, il succède à Frédéric Spanheim (1600-1649) comme professeur de théologie [2]. La même année, l’Eglise francophone de Londres lui adresse un appel. En 1645, il est élu recteur de l’académie de Genève.

Dès cette époque et jusqu’à la fin de sa vie, Morus divise les esprits : sa grande éloquence impressionne, mais son attitude hautaine et son comportement à l’égard de la gente féminine font jaser. Sur le plan théologique, Morus penche vers la doctrine de la prédestination telle qu’elle est enseignée par Moïse Amyraut à Saumur, ce qui lui vaut l’inimitié de Spanheim, ardent défenseur des les vues calvinistes classiques.

Confronté à ces difficultés et à la hostilité grandissante de ses collègues, Morus cherche un poste aux Pays-Bas. La tâche s’avère difficile, malgré les efforts de son protecteur, Claude Saumaise (1588-1653), qui est alors professeur à l’université de Leyde. Saumaise essaie de lui obtenir un professorat de théologie à l’Athenæum [3] de Harderwijk (Gueldre, Pays-Bas). Le projet échoue cependant, à cause de rumeurs sur les mœurs de More et l’opposition de Spanheim [4]. Saumaise n’abandonne pas pour autant, et More, après avoir obtenu un certificat d’orthodoxie de Genève, obtient finalement en 1649 un poste de professeur à l’Athenæum de Middelburg (Zélande, Pays-Bas) et de prédicateur dans l’Eglise wallonne locale. Morus essaie d’obtenir un poste à Amsterdam, mais son ennemi Claude Sarrau (15??-1651) empêche sa nomination. En 1651, l’académie de Montauban souhaite le rappeler en France, mais ce projet échoue, car le commissaire royal estime que Morus est en relation avec les ennemis de l’Etat.

L’année 1652 est importante pour Morus à plusieurs égards :

Mais l’accalmie n’est que de courte durée, car d’autres tensions surgissent. En 1653, l’Eglise wallonne de Leyde porte des accusations contre Morus et s’oppose à sa nomination à Amsterdam. La teneur des accusations est quelque peu floue. Il semblerait que Morus ait couché [6] avec une domestique britannique de Saumaise, et refusé de l’épouser [7]. La rumeur enflant, l’affaire est portée [8] devant le tribunal civil, au grand dam de Saumaise. Devant les juges, Saumaise fait valoir que Morus fréquente des prostituées et n’en est pas à sa première agression de domestiques [9]. L’affaire se présentant mal pour la domestique, elle attaque Morus devant le tribunal ecclésiastique. Finalement, Morus est acquitté devant les deux instances. Sa relation avec Saumaise a cependant souffert dans l’affaire [10].

Fin 1654, Morus obtient un congé de quatre mois. Il a l’intention de le passer en France, mais finalement, il va en Italie, où il est reçu par le grand-duc de Toscane et reçoit des marques de distinction par la république de Venise, dont il avait chanté une victoire navale sur les Turcs dans un poème latin. Il ne revient d’Italie qu’en 1656 ! Mais comme il est par ailleurs très apprécié, surtout en tant qu’orateur, on ne lui tient pas rigueur de son absence [11].

L’Eglise de Charenton envisage de recruter Morus dès 1656, suite à une prédication très appréciée donnée sur le chemin de retour d’Italie. Dans un premier temps, Jean Daillé soutient vivement sa candidature [12]. Le consistoire décide de s’en remettre au synode de la province d’Ile-de-France prévu pour mai 1657, mais lorsque Michel Le Faucheur (1585-1657) meurt, en avril 1657, on recrute Morus, en passant outre la procédure prévue par la discipline des Eglises. Ce recrutement est immédiatement contesté. L’affaire Morus enflamme le microcosme protestant parisien [13].

Toujours en 1657, Morus fait un discours remarqué devant l’ambassadeur de France aux Pays-Bas, Jacques-Auguste de Thou II († 1677). Un an plus tard, il impressionne par un discours sur la victoire des Vénitiens sur les Turcs.

En 1658, l’ambassadeur de Thou persuade Morus de retourner en France pour une mission secrète. Ce voyage est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, provoquant la rupture entre Morus et son pays d’accueil. De vieilles haines se réveillent. Morus est accusé de « mensonges, faussetés, fourbe[rie]s, impiétés, ingratitude, orgueil insupportable, vices infâmes », comme la fréquentation de prostituées et la sodomie [14], et sommé de se justifier devant le synode de Gouda en avril 1659. Il refuse d’obtempérer, en faisant valoir sa qualité de sujet français.

En France, le synode d’Ay se tient en mai 1659. Là encore, des opposants et des partisans de Morus s’affrontent, mais finalement, Morus est confirmé dans sa position. On interdit à Morus de retourner aux Pays-Bas pour se défendre devant le synode de Nimègue, qui se tient en septembre 1659. Ce synode parvient à la conclusion que Morus est inapte au service des Eglises ; on l’interdit de Cène, en attendant qu’il exprime des regrets sincères et inconditionnels.

Le synode national de Loudun, qui se clôt en janvier 1660, voit la victoire de Morus : on lui fait des remontrances pour son comportement passé, mais il est absous de ses fautes et son recrutement à Charenton est confirmé.

La paix ne s’installe pas pour autant. Dès 1661, on attaque Morus, en invoquant des agissements douteux à Paris. Le consistoire le suspend et l’envoie en Angleterre dans l’hiver 1661-1662 [15].

Morus rentre en juin 1662. Entretemps, il s’est fâché avec Jean Daillé, ce qui signifie que tout le consistoire lui est désormais hostile. Face à de nouvelles rumeurs, et un rapport de Samuel Chapuzzeau (1625-1701), un ami de Morus, qui l’accuse de diverses frasques, on décide une nouvelle suspension. Mais les partisans de Morus n’acceptent pas ce choix. Le 16 juillet, ils envahissent le Temple de Charenton, appuyés par des mousquetaires protestants, délogent Adrien Daillé, le fils de Jean, qui devait prêcher à la place de Morus, et portent Morus en triomphe dans la chaire [16] ! L’affaire fait beaucoup de bruit ; elle est portée devant la Chambre de l’Edit [17], qui se déclare incompétente. Un colloque ad hoc se tient à Charenton le 10 août : Morus est interdit pour un an et mis sous observation. Par ailleurs, Louis XIV profite de l’émeute pour exclure les protestants du corps des mousquetaires.

Le cas de Morus n’est réglé qu’en 1664, lors du synode provincial de Berry qui prononce une « sainte amnistie » à l’égard des actes du pasteur [18]. Morus peut donc reprendre sa fonction à Charenton. Après cette amnistie et la réconciliation qui s’ensuit, la situation s’apaise. Les dernières années de la vie de Morus se distinguent par l’absence de scandales et de tensions manifestes.

Morus meurt le 28 septembre 1670, après de longues souffrances, dans l’hôtel de la duchesse de Rohan à Paris [19]. Il a été enterré à Charenton.

Malgré son penchant pour les femmes, Morus ne s’est jamais marié ; il ne semble pas avoir eu d’enfants.

« Les écrits de Morus sont assez nombreux, mais peu importants », dit Haag, chez qui on trouve une liste exhaustive [20]. Quelques volumes de sermons ont été publiés après sa mort, contre sa volonté.

 

Sources principales

 

Notes en bas de page

[1] Alexander a un frère, Aaron, qui a exercé un ministère pastoral à Lyon. François Turrettin (1623-1687) lui succède brièvement après sa mort en 1652.

[2] Spanheim a quitté Genève pour prendre un poste de professeur à Leyde.

[3] Il s’agit d’une sorte de collège qui n’avait pas le droit de conférer des titres académiques.

[4] Le professeur et collectionneur d’antiquités Johannes Smetius, dans une lettre aux autorités académiques de Harderwijk, qualifie Morus de « ingenium ferox, turbulentum et novaturiens, quod vix Genevensi disciplina arctissima in officio contineri potest » ce qu’on pourrait traduire par « un génie fulgurant, turbulent et novateur, que la discipline très étroite de Genève arrive à peine à maintenir dans le ministère ».

[5] Selon Van Miert (p. 82), Morus a contribué au pamphlet, sans en être l’auteur principal.

[6] Il se peut que la dame n’était pas consentante ; en tout cas, Van Miert est très affirmatif à cet égard : « What had happened was that in the house of his protector [Saumaise] Morus had assaulted an English maid. » (p. 81) Van Miert nous apprend aussi que Morus avait indiqué avoir couché avec la jeune femme en tant que professeur et non pas en tant que ministre (!), probablement pour être jugé devant le tribunal académique que devant des juges municipaux (p. 82).

[7] Bruce (p. 68) prétend qu’il s’agit d’un complot monté par la domestique et sa maîtresse, Mme Saumaise, qui semble avoir été très dominante, voire même un « tyran domestique ».

[8] Nos sources se contredisent par rapport à la personne qui a initialement porté l’affaire devant le tribunal.

[9] Voir Van Miert, p. 82, qui se base sur la correspondance entre Isaac Vossius et Saumaise.

[10] Van Miert (p. 82) mentionne une autre dispute entre les deux hommes, portant sur 60 exemplaires du pamphlet Clamor regii sanguinis.

[11] Van Miert (p. 82) rapporte qu’en janvier 1658, on augmente son salaire de 1700 à 2000 florins, apparemment pour éviter son départ à Charenton.

[12] Schapira, p. 321 : « Il semble que Daillé voyait en Morus non seulement un confrère brillant, mais aussi un allié dans la querelle de la grâce universelle, qui divisait alors les réformés français … »

[13] Comme l’explique Schapira, p. 323ss, plusieurs luttes intestines se cristallisent en la personne de Morus : la querelle autour de la prédestination, la querelle opposant l’Eglise réformée de France et celle des Pays-Bas, les luttes entre différentes familles de la haute noblesse protestante (l’hôtel de Bouillon et l’hôtel de la Trémoille) …

[14] Van Miert, p. 83s

[15] Selon Schapira, p. 322, « en espérant qu’il ne reviendra pas en France ».

[16] Heureusement, comme le signale Bruce, p. 248, le prêche n’a finalement pas lieu.

[17] Instances judiciaires composées à nombre égal de catholiques et de protestants, chargées de juger toutes les affaires impliquant des protestants.

[18] Schapira, p. 329ss signale le revirement de Valentin Conrart (1603-1675), un homme de lettres illustre et très bien connecté dans les cercles réformés. D’abord hostile à Morus, il finit par le défendre.

[19] Plusieurs auteurs rapportent que, jusque sur son lit de mort, Morus a revendiqué son innocence par rapport aux accusations dont il avait fait l’objet.

[20] Haag, p. 547.

[21] Dans le volume de ses sermons sur Romains 8, on lit : « … Il est vrai que peu de temps avant mourir, après plusieurs pressantes sollicitations, il … accorda [à ses amis] la permission [de publier ses sermons], mais sous cette condition, que l’un d’eux, qu’il savait y être fort contraire, y donnerait son consentement. Aussi n’a-c’été qu’après la mort de cet ami que les autres s’y sont résolus. … » Qui ne dit mot consent …

[22] Les renseignements de ce livre sont à prendre avec précaution. Bruce est un inconditionnel de Morus et cherche à le défendre à tout prix. 

 

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